jeudi 3 octobre 2013

Les animaux tombaient du ciel un à un sans se faire de mal


Il faut dire que Noé n'en faisait qu'à sa tête. A trop vouloir ramer fort, l'arche s'était envolée
jusque haut dans le ciel. Je suis sûr qu'il avait voulu retrouver le petit prince dans la lune. Son neveu était aussi original que lui et, aux dernières nouvelles, il faisait du ski sur les rivages de la mer de la tranquillité.

Mais de là à vouloir découvrir une nouvelle mer pour barboter dans le plus simple appareil, ce n'était vraiment pas raisonnable. D'autant que les rennes du père Noël, son frère, étaient partis le retrouver sur la banquise. A coup sûr, il avait du oublier que seul son frère possédait des ailes. Ses parents avaient trouvé ce subterfuge afin de les distinguer aisément. Ce n'est vraiment pas beau de vieillir.

L’arche, conçue pour voguer au long cours sur toutes les mers du globe, semblait vouloir
redescendre aussi vite qu’elle était montée. La chute annoncée s'annonçait vertigineuse et fatale à tous les animaux. On va mourir criaient-t-ils tous en coeur. Au secours, Maman ! Aucun d’entre eux n’avaient une fusée ou un parachute à portée de stratosphère.

Cela ne semblait pas perturber le moins du monde notre bon capitaine, qui allongé dans son hamac, sirotait un cocktail au jus de goyave. Il nous regardait et nous souriait benoitement. Profitez de la vue plongeante nous disait-t-il tranquillement. Dans la vie faut pas s’en faire. Alors j’ai décidé de prendre ma retraite et de ne plus rien faire. Tenez j’ai même abandonné le gouvernail. Alors je vous laisse créer votre propre gouvernement dit-t-il hilare, le nez légèrement rougi.

Pas s’en faire ! Pas s’en faire ! Il en avait de bonne lui. Mais, tous, on voyait bien que ce maudit rafiot devenait incontrôlable. Lui aussi semblait ne vouloir en faire qu’à sa tête et s’écraser , après un piqué mémorable, sur notre bonne terre. Heureusement, on avait pu coller une à une des plumes, dont les oiseaux avaient bien voulu se délester, pour lui rajouter des semblants d’ailes et nous permettre, entre terre et ciel, de tenir dans un équilibre précaire.

Ca c’est du bon travail mes enfants. Je suis fièr de vous. Youpi Youpi je suis sur un bateau
volant de bord d’étoiles nous disait goguenard et avec un rien de malice notre capitaine adoré mais peu à peu abhorré par certains.

En fait de terre, on devrait plutôt parler d’une mer bleu outremer. Car avant d'entreprendre ce voyage pour nous faire découvrir le monde, notre sémillant capitaine avait oublié de refermer les robinets. Vraiment quel tête en l'air ce Noé.

L’eau était montée, montée jusqu’à tout recouvrir. Au bout de quarante jours, les poissons avaient enfin accepté de les refermer. Mais il avait fallu négocier ferme et cela se comptait en tonnes de plancton. Le mal était fait et dès lors il n’y avait plus trace du moindre petit caillou ou d’un peu d’herbe verte. Même les montagnes semblaient être devenues bleues.

Le problème, c'est que mes autres compagnons commençaient à se lamenter et à s'impatienter. Tous voulaient retrouver la terre ferme. Même les oiseaux, c’est vous dire. Impossible leur disais-je. Tout autour, c'était une grande piscine reconnaissable entre mille par ce bleu strié de blanc. Et c’est très, très haut rajoutais-je pour tenter de les dissuader de sauter immédiatement.

Fabriquons un plongeoir puis nous sauterons répondirent-t-ils tous en coeur. Oui fabriquons un plongeoir olympique. On le mérite tous. J’ai la scie dit l’otarie et moi les clous dit le hibou. Il y a des vieilles planches à fond de cale pensa tout haut l’araignée. Je m’en occupe répliqua la girafe. Quant à l’éléphant, dixit la souris, enfoncer des clous ne lui faisait pas peur.

Bientôt un joli tohu-bohu bricoleur régna dans tout le navire. Puis ce fut le silence. Un long
silence circonspect. Tous les animaux regardaient ce plongeoir fait de bric et de broc. Tous le trouvaient magnifique. Mais qui allait sauter le premier ? A qui revenait cet honneur ? Ils n’eurent pas trop le temps de se poser la question.

Chérie, je n’ai plus de glaçon, sors en du frigo. J’arriiiiive. Incrédules, ils virent Noé vêtu d’un joli maillot de bain rouge à petits pois, son verre à la main, courir puis sauter en se pinçant le nez. C’était grotesque et amusant à la fois.

Alors tous voulurent en faire de même. Tous se poussaient pour être le premier sur la piste
d’envol. Pas tous ensemble ordonnais-je. L'un après l'autre hurlais-je pour me faire entendre. Ma voix caverneuse les arrêta aussitôt. En premier le roi dis-je. N’est-t-il pas le lion ? Il bailla longuement puis sauta sans trop se faire prier. Alors tous en firent de même avec plus ou moins de grâce et de légèreté. Mais tous le firent avec bonheur et sans se faire de mal.

Quant à moi. C’est vrai je ne me suis pas encore présenté. Anda, pas le loup mais le taureau. Tout de noir vêtu, il va sans dire. Ayant horreur de l’eau, je les laissai non sans sourire, abandonner un à un le navire. Mon arche tant aimée.

Seul, je déboulonnai aussitôt le plongeoir et le jetai par-dessus bord. Seul ! Oui enfin seul ! Je pouvais profiter de l’arche à moi tout seul. Je rebranchai le pilote automatique, me préparai un cuba libre et hop dans le hamac. Je programmai le gouvernail pour une nouvelle direction. Cap vers les étoiles et leur habit de lumière. Puis je m’endormis aussitôt. Que voulez-vous, j’aime la tranquillité et surtout dormir seul. Ainsi je peux rêver tout à mon aise.


(C) Philippe BESSE


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