dimanche 27 juillet 2014

La lumière s'éteignit


C’était l’oasis, la salle noire de l’après midi…, ma suprême détente, mon moment de béatitude : avaler passive et immobile les histoires des autres, leurs gestes, leurs voyages, leurs passions, leurs désespoirs ; sans aucun effort qui me coûte à moi, pleurer avec eux, rire grâce à eux, m’étonner de la suite si peu logique du cours de leurs vies, y croire avec eux, espérer autre chose, être déçue, et puis ressusciter à nouveau, me bouleverser de leurs peines, les admirer, imaginer l’ambiance sur le tournage, les envier, les aimer…Vivre avec intensité sans avoir à le vivre moi-même, quelle fabuleuse procuration, la magie de l’évasion ! 

Vous avez compris, le cinoch c’est mon truc, et quand il me l’a proposé plutôt que de retourner bosser, faire les comptes, et puis les rendre pendant d’interminables réunions, alors oui, évidemment oui, j’ai dit oui !

Et c’est parti, on y est, je m’enfonce douillettement dans le rouge profond du fauteuil en attendant qu’il revienne des toilettes. En fait, je suis déjà partie, déjà ailleurs, j’ai le cœur qui vibre dès la première publicité, je m’enfonce encore un peu pour oublier mon corps et m’évader pour de bon dans un autre décor…Quand il s’assoit à côté de moi, je ne le regarde pas, je suis envoûtée c’est trop tard…, béate et concentrée.

Mais…, un truc qui me gêne, un p'tit bruit de bouche, un «crounch crounch» des mandibules, un p'tit cliquètement régulier des dents du dessus sur celles du bas…Je m’agace, je tourne mes yeux, rien que les yeux, le reste de mon corps est ailleurs, vers le bruit…Non ! Des popcorns ! Ha non ! Pitié, au secours ! Le ringard, non, c’est impossible, je ne vais pas supporter. Je serre les dents moi aussi, je prends sur moi… «crounch crounch», c’est imbuvable… ! Maxi format en plus les popcorns, c’est pas croyable !

Dix interminables minutes pour terminer ce monstrueux gobelet, un calvaire.

Et puis du répit…, ouf ! Le cauchemar est terminé, je détends à nouveau mes muscles crispés par l’exaspération contenue…

Mais… ? Il bouge ? Il fouille, il farfouille, dans ses poches, à moitié debout ! Un mouchoir maintenant ! Il va pas éternuer quand même ?!! Encore moins se moucher hein ?? Mais je rêve ! 3 gros barrissements d’éléphant…Allez la discrétion, allez la poésie ! Mais il va me foutre en l’air ma séance ! Je fulmine, je me retiens, je me concentre, je l’abstraie, je m’enfonce encore pour m’éloigner de son bras droit qui touche mon gauche…Allez, courage, ça va bien se passer maintenant, le pire est passé…

Mais…ce bras que je viens de fuir, il le remet sur le mien, mais il le pose même sur le mien, comme si je n’étais pas là… ! Incroyable… ! Je lui laisse l’accoudoir, et il installe, non il étale, son bras de l’autre côté de l’accoudoir, c'est-à-dire dans mon espace vital réduit à néant, il s’affale, en largeur, en épaisseur, en lourdeur !

Surtout ne me demande pas en mariage hein ?!! Non, surtout pas, ne me parle, ne t’approche pas, je ne suis pas là. Je m’accroche comme une désespérée, cette fois c’est moi qui le suis, ça n’est pas une procuration, à la vie de mes héros de l’autre côté de l’écran.

Ah ! on voudrait bien être à leur place ! AAAAH ! Comme on le voudrait !!

(C) Marine DE CHARRIN

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