vendredi 13 janvier 2017

Partance


« Les aiguilles de l’horloge du quartier juif vont à rebours

Et tu recules aussi dans ta vie lentement. »
Guillaume Apollinaire « Zon » (Alcools)




Exil

Peu lui importait l’itinéraire, ce qu’elle voulait c’était partir. Alors, la valise à la main, elle a reconnu cet état d’attente fébrile des grands départs, elle a suivi la destination indiquée sur le premier quai de la gare et c’était vers l’Est.

Le hasard ne pouvait que la mener là bas, vers ce lieu qui était inscrit en elle et même si le nom des villes qui défilaient ne lui rappelait rien, les images d’un autre voyage remontaient à sa mémoire.

Elle avait vingt ans et dans un camion, rempli de jeunes gens de son âge, on l’avait conduite, sous la menace, vers l’Ouest,

Depuis longtemps déjà elle savait qu’un jour elle remonterait le courant jusqu’à la source et elle descendit naturellement à Poznan, suivant le chemin à rebours.

Les mots de sa langue natale lui venaient simplement et, quand elle demanda une chambre à l’hôtelier du Beffroi, celui-ci ne releva même pas son petit accent étranger.

Maintenant qu’elle était seule à nouveau, que les êtres chers qui l’avaient accompagnée dans son exil n’étaient plus, elle pouvait poser ses bagages là.

Elle s’approcha de la fenêtre et perçut comme un signe : les aiguilles de l’horloge de la tour indiquaient vingt deux heures, l’heure exacte où elle avait vu apparaître les Waffen SS au fond de son jardin, soixante ans plus tôt.


(C) Martine IMHOFF-MARC

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire