dimanche 15 janvier 2017

Les Feuilles



Le bruissement des feuilles luit dans ma tête. La nuit. Elles éclairent le long chemin qui me sépare de moi. De moi-même.

Partir.

Je dois me décider maintenant.

Partir.

Suivre les couleurs des feuilles d’automne. Ou serait-ce les feuilles d’un livre ? Je ne sais pas. Je ne sais rien. Je sais seulement que la nuit est longue. Je ne sais pas si je suis vivante ou si je suis morte. Les deux à la fois peut-être.

Je commence par suivre la petite feuille de chêne d’un vert si sombre qu’il tire vers le marron. Je la regarde s’envoler au gré du vent doux et ensoleillé de cet hiver printanier. Et je cours derrière elle. La rattrape. Elle virevolte sur elle-même en m’envoyant ces mots « Les sanglots longs des violons de l’automne blessent mon cœur d’une langueur monotone. ». Verlaine est là tout près. Si juste. Les vers sont ancrés dans les méandres de ma mémoire pour l’éternité.

Un jour maman m’a dit que les poèmes, ça réchauffe quand on a froid. J’en ai fait l’expérience. C’est vrai. Les mots sont loin au début. Et puis ça devient comme une musique inlassablement répétée. Et les vers diffusent leur chaleur…

Aujourd’hui, comme souvent, comme tout le temps. J’ai froid. Verlaine me fait du bien. Mais entre-temps ma feuille s’est envolée et ne m’a pas attendue. Je suis de nouveau seule. Avec les « sanglots longs ».

Je me souviens.

Partir.

Je suis partie. Je dois avancer. Retrouver mon chêne. Je ne le vois pas, ne le cherche pas non plus. Sa feuille m’a donné Verlaine. C’est déjà bien.

Ou aller ? Je suis le chemin de terre entre les murs aux pierres tombantes et attachantes. Trébuche sur un minuscule rocher qui doit être le haut d’un iceberg. Tombe, mes genoux saignent mais je ne sens rien. Me relève. A temps pour que la feuille d’érable s’accroche à mon manteau. Je la serre fort pour qu’elle ne s’échappe pas et cours entre ces murailles trop hautes pour moi. Ne suis plus seule. La fine chaire que je protège est d’un rouge ocre qui illumine un moment mon cerveau affolé.

La feuille d’érable m’offre des étoiles. Celles dont se délecte le chamois d’Erri De Luca dans le Poids du Papillon. Elles m’aident à avancer. Dans la nuit ou dans le jour. Je ne sais plus très bien. Mais je cours après elles. Je veux les lécher aussi. M’en nourrir. Pour la vie entière. Pour l’éternité.

J’ai vingt ans d’éternité et je suis morte lorsque j’avais quinze ans.


(C) Amélie VALOIS  -  2016

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