mardi 31 janvier 2017

La diva des bas fonds



Elle s’avance entre les plis du rideau poussiéreux, jadis rouge vif, aujourd’hui rouge sang. Maintenant, elle est debout au centre de la toute petite scène en demi-lune, à peine surélevée de trente centimètres au dessus du plancher de la salle.

Un rai de lumière blême échoue à éclairer sa pauvre silhouette. Absorbé par la fumée des cigarettes et la noirceur des âmes, il se perd dans les ténèbres ambiantes.

Les souteneurs, maquignons à la petite semaine perdent au poker le prix de la misère. Les recéleurs, entre deux verres de whisky, négocient âprement la marchandise au cours du moment. Les tueurs, espérant un contrat juteux, trainent auprès des caïds qui planifient le coup du siècle avec leur bande. Billets et pièces râpent le bois des tables. Les bouteilles s’entrechoquent et l’odeur de l’alcool dispute celle de la peur.

Tout un monde bruisse, grogne, gronde, menace. Un brouhaha monocorde de paroles mauvaises sourd de ce versant noir de l’humanité.

Quand un timbre chaud s’élève, monte, s’envole, perce l’atmosphère viciée. C’est le cristal de la source qui lave ce qu’il touche. La mélodie enfle, tournoie, sinue, faiblit jusqu’à s’éteindre, pour mieux s’élancer et se maintenir au-delà du possible.

Les murmures s’apaisent, les yeux s’ouvrent grand, les regards se tournent vers la scène. On ne boit plus, ne fume plus, ne chicane plus. On écoute, se laisse envelopper, pénétrer par le beau, le bon, le juste.

Des frimousses de petits garçons oubliés affleurent sous les trognes d’assassins.

Puis la voix se tait. La diva des bas-fonds glisse derrière les plis du rideau. 

Un silence se pose, essaie de s’installer. Chacun attend.

Mais la pègre n’a cure d’une parenthèse d’innocence. Les enfants de jadis disparaissent à jamais dans les limbes des souvenirs perdus et la noirceur reprend possession de son monde.


(C) Monique Thomières

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